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Page:Crevel – Réponse d’Arabelle, paru dans L’Essor, 1922.djvu/2

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RÉPONSE D’ARABELLE[1]


Beaucoup préfèrent en eux le vide et l’ennui au charme d’un sentiment qu’ils ne sauraient classer. Je vous croyais excepté de ce grand nombre et vous en avais gré, mon ami. J’ai toujours souri — vous allez me juger hypocrite, ou par trop ignorante à la vérité de certaines exigences en notre nature — des rangements que nous essuyons parmi nos affections, comme si pour suprême idéal nous nous proposions un étalage avec bocaux différenciés. « Quel préférez-vous du citron acidulé ou de la pastille à la violette ? » Mais prenez garde, si vous choisissez la violette, il se peut que d’une main aveugle vous preniez le citron ou même une troisième sorte. Alors ?… Alors, il faut ne pas choisir.

Vous n’avez pas regret des soirs imprécis où vous veniez à moi, sans les affirmations et orgueilleuses certitudes des autres hommes. Dehors, il faisait sale ; vous vous étiez cru le personnage attristé d’une tapisserie laineuse, sans profondeur et sans éclat. Chez moi, vous trouviez des soies japonaises, le divan, inévitable, mais d’un velours doux à la caresse des mains. Dans la rue vos yeux avaient redouté les aiguilles du froid et des lumières aux boutiques. J’atténuais de voiles légers, l’éclairage offert à votre lassitude ; parfois vous-même disposiez les lampes en des combinaisons de votre choix, et m’étiez reconnaissant de n’avoir point nargué la gravité futile que vous y apportiez. Alors certains reflets vous faisaient aimer mon visage et le préférer à celui de certaines femmes. Plantureuses et fardées, repues d’amour jusqu’au dégoût, en elles, m’aviez-vous avoué, votre jeunesse équivoque mettait l’inquiétude d’un nouveau désir. Elles vous choyaient, vous entraînaient vers les endroits de gaité, s’essayaient pour vous plaire à des coquetteries compliquées et puériles, puis, si elles en percevaient l’échec, vous grisaient, pour pouvoir en des chambres banales, où votre fatigue avait froid, vous prendre quand même presque de force. Vous acceptiez de telles aventures par effroi des longues heures solitaires, mais lorsqu’il vous était donné de venir jusqu’à moi, toujours vous choisissiez la douceur tranquille de ma pièce.

  1. V. lettre pour Arabelle. Aventure déc. 1921.