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ÊTES-VOUS FOUS ?

l’abîme ou me le perde. Un jour, à la gare de Florence, imagine-toi qu’on ne le retrouvait plus. Enfin, on me l’a rapporté. Juste à temps. Il est vrai, je n’ai jamais eu d’autres ennuis. Brave petit fakir. Pas coureur, pas bruyant. Et ce silence oriental. Quel camouflet au débraillé européen. Tu penses comme je remercie du fond du cœur celui qui le rapporta. C’était un Anglais d’excellente famille avec château en Écosse, villa à Beaulieu, yacht et tout le bataclan. Et des manières, mon petit. Le soir, pour le dîner, toujours en smoking ou habit, même si nous n’étions que nous deux. Pas de poil aux pattes. La peau, un velours, avec des muscles qui couraient dessous. Toutes les femmes en étaient folles. Aujourd’hui encore, je perds la tête rien qu’à me le rappeler. Imagine le coup de foudre quand je l’ai rencontré. Alors je n’avais pas besoin d’un fakir pour remuer bras et jambes. Je m’appelais Myrto-Myrta. J’avais le sang chaud. Je dansais. Pas la zigzagante, bien sûr, mais de vraies danses avec chassés-battus, déboulés. pointes et grand écart, des danses espagnoles, grecques, napolitaines,