Aller au contenu

Page:Crevel - Babylone, 1927.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sibles, empruntés au vocabulaire du savant son mari, pour rendre compte de ses états d’âme. Or, parjure à tout un passé positiviste, la nouvelle sibylle, d’un seul coup, a jeté aux chiens les déductions affûtées, armes logiques à tir sûr et direct, flèche de raison, tout ce qui constituait l’arsenal de ses arguments habituels. Un mépris bien neuf lui interdit l’usage de termes, références qui l’ont, toute sa vie, légitimée. Elle n’a d’ailleurs point perdu au change, puisqu’elle oublie sa terreur initiale au seuil de la cuisine, en présence du corps garrotté, que l’empire du monde ne l’eût pas décidé à toucher. Le champ de bataille sur le carreau, de la meilleure foi du monde, elle pourrait affirmer qu’elle y fut à son aise et tout aussi impériale que Napoléon à Austerlitz. Les taches fleuries, en sinistres soupçons le long des murs, dont elle se demandait si elles étaient du sang de poulet ou de domestique, elle les ajoute au bouquet de ses pressentiments.

À chacun de ses sens elle reconnaît un pouvoir de pénétration égal à celui des rayons X, et, pour un peu, s’affirmerait absolue maîtresse des destinées qui l’entourent. Conséquence : la cuisinière qui s’était crue au tombeau, soudain se sent renaître par la grâce d’un énergique : « Vous vivez, ma fille, vous n’avez pas été assassinée. »