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Page:Crevel - Babylone, 1927.djvu/93

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écouté mon cœur, mes désirs. Je serais partie en 1898 avec le prince persan, qui me fit une telle cour, vous vous rappelez, à Vichy. Quels yeux il avait, j’en suis folle encore rien que de me les rappeler. Des yeux grands comme des assiettes, et d’une expression. Il m’offrait de partir avec lui pour Ispahan. Ispahan, cité des Roses : Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse ; on a chanté cette mélodie à la petite soirée que nous avons donnée en votre honneur quand vous avez été décoré, juste après la guerre. J’avais un horrible regret en écoutant l’artiste de l’Opéra-Comique évoquer, de sa chaude voix, cet Orient où j’aurais pu être adorée en plein rêve. Mais je pensais au ruban rouge, flambant neuf à votre boutonnière. Je voulais être sourde, aveugle, oublier à quelle féerie pour vous j’avais renoncé. Pour vous, folle que j’étais. Vous pensez bien d’ailleurs que le prince persan ne fut pas seul à me parler tendrement. Ils ont été plus de quatre à me conter fleurette, et même, ne vous en déplaise, même, parmi vos collègues, vos amis. J’étais la femme belle, jeune, désirable d’un homme qui s’endormait sitôt la tête sur l’oreiller. Il m’a coûté plus d’un effort ce visage de marbre que j’opposais fièrement. À chaque violence que je me faisais, j’étais