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Page:Crevel - Babylone (extraits), 1975.djvu/21

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et non d’essences dans les diverses manières que les hommes ont de composer avec leurs pensées, leurs états d’âme. Rien de plus théâtral que les propos zigzagants de certaines ivrogneries, les déclarations d’amants très épris et les perspectives de cauchemars pourtant indéniables.

Sans doute, pourrait-on objecter que le propre de certains êtres étant le théâtral, ils ne manquent point à leur nature si, comme eux, sous l’empire d’une émotion, d’un élan, se déforme, s’amplifie l’insincérité qui fait le fond d’eux-mêmes.

Mais justement, nous aimons, nous louons les Brontë, parce que nous les avons imaginés dédaigneux de ces guenilles que les autres, à force de s’en déguiser, prennent pour les lambeaux de leur propre chair.  

Patrick Branwell aime le whisky, le suc de pavot, avec la même imprudence qu’Emily le vent.

À Londres, les écrivains civilisés, Quincey, Coleridge, ont les mêmes goûts. Mais eux pèsent, dosent, car ils ne veulent pas mourir, fût-ce de leurs beaux, de leurs chers poisons.

À trente et un ans, Patrick Branwell, incapable de ces économies, aura cessé de vivre.

Dans ses mémoires, Quincey, se livrant à des considérations pharmaceutiques, préviendra que l’opium dont il a usé, dix lustres durant, l’aura préservé d’une phtisie héréditaire.

Or, les Brontë ne respirent pas mieux que les Quincey, mais les Brontë, poètes, usent dangereusement de ce qu’ils aiment. Quincey, lui, n’oublie pas son Codex et au risque, préfère les médicaments. Grâce aux ordonnances et recettes littéraires, il édulcorera même le vitriol du crime. Et l’assassinat devient un des beaux-arts.

Les beaux-arts pour les messieurs. Les arts d’agrément pour les demoiselles. On va beaucoup parler de peinture en Angleterre où il est si rare qu’on sache tenir un pinceau.