Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/108

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Cyrilla me regarde et ses yeux sont doux.

Elle est mince dans sa cape blanche ; mais elle serre l’étoffe contre sa poitrine à la manière d’un oiseau qui plierait ses ailes pour consoler un corps frileux. Cyrilla me regarde et ses yeux sont doux. Une femme permet seule d’oublier toutes les autres femmes et aujourd’hui, dans ce silence essentiel, par crainte de ne me point croire pleinement viril, j’appelle toutes les autres femmes, les inquiétudes que je veux croire pauvres, les inquiétudes que je veux mépriser.

Cyrilla me regarde et ses yeux sont doux. Elle est triste parce qu’hier soir, une autre femme... déjà. Faut-il être fier ? Est-elle jalouse, amoureuse ?

Je vais dire : « Cyrilla, petite Cyrilla, je vous aime. »

Elle suppliera : « Daniel, Daniel, il ne faut pas »; elle suppliera si doucement que je devrai bien espérer.

Je répéterai : « Cyrilla, je vous aime. Je vous aime beaucoup. Beaucoup parce que simplement. » Les trois petites affirmations consécutives lui sembleront des preuves. Elle avouera : « Moi aussi, Daniel. Beaucoup parce que simplement. »

Mais déjà sans doute a-t-elle oublié Boldiroff.

Alors elle est prête à souffrir d’un autre homme, pour un autre homme.

Cet autre homme c’est moi.

Cet autre homme est orgueilleux et sûr.

Tout sera sans détour maintenant.

Je vais être un homme heureux.

Serai-je encore un homme en vie ?

Un homme heureux, un homme sans détour ?