Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/77

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qu’elle était prête à une offensive dont au reste je ne devinais pas les raisons. Pour prévenir j’essayai une contre-attaque et lui demandai :

« Comment va votre chère Myriam ? » Ma question ne parut guère la gêner, et même, comme si elle lui devait de pouvoir répondre aux reproches du Russe et s’en venger, elle me remercia d’un sourire : « Cette Myriam, quelle délicieuse fille, et d’une ingénuité. Jamais de scène, aucune jalousie ; elle m’a présenté Bruggle, ce fameux spirite dont elle nous avait parlé, vous vous souvenez ? Ce Bruggle m’a tiré mon horoscope ; il paraît que je vais être princesse, tout comme votre femme née Scolastique Dupont-Quentin, mon cher (elle regardait fixement Boldiroff). Jusqu’ici tout ce qui me fut prédit s’est réalisé. Je suis donc certaine de cela.

« Bruggle faisait de la sculpture. J’étais encore brune ; à même l’ébène il sculpta une statue dont j’étais le modèle : L’Ange noir. Notre amour resta loin de terre, ne connut que des lèvres de marbre rouge et ne fut sali d’aucune caresse vulgaire.

— Mes félicitations, chère amie.

— Ce n’est pas tout. J’ai transformé tout mon appartement. Aux murs de mon boudoir sont de grands oiseaux roses et gris ; dans des conques j’ai enfermé la lumière. J’ai des tuniques de lamé, des peignes en jade et je finis un roman ; mais je ne vous en dirai rien, car je ne veux pas ressembler à une femme de lettres.

— Avouez pour me dédommager quelles passions vous avez allumées au cœur des hommes.

— Allumées au cœur des hommes. C’est bien cela. Mon pauvre Daniel, je ne puis les avouer toutes. Je fus aimée