Aller au contenu

Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rimés contre les bourjouis, ce n’était point que ses idées personnelles y eussent trouvé quelque assentiment : au reste, il prétendait plaire assez aux femmes pour n’avoir point à se soucier des questions sociales, et puis il appartenait à l’une de ces familles cosmopolites qui n’ont cure des régimes, professent bien des snobismes, sauf celui des opinions politiques et ne se préoccupent des formes de gouvernement dans leurs pays d’origine ou de villégiature que s’il leur en vient de l’ennui. Or Boldiroff n’avait jamais manqué d’argent ; il avait pu voyager et former sa jeunesse par la classique visite des universités le matin et le soir de bordels où sa manie était de demander aux pensionnaires un morceau de leurs voiles ou de leurs chemises ; mais il s’était peu intéressé, somme toute, au tour d’Europe que lui avait payé son beau-père ; il reprochait aux hommes leurs petits gestes, leur défaut d’envergure ; or un appel au peuple qui était aussi un poème et dont les mots resplendissaient de toute leur rage et de toute leur cruauté, sur une immense affiche, dans une rue fort passante et même populeuse, avait pour lui le prestige de quelque paradoxale prophétie ; son goût de l’étrange qui allait jusqu’à celui du barbare, se réjouissait d’un tel effet car l’antithèse brutale le charmait comme un enfant une étoffe bariolée ; ainsi jugeait-il, au dîner des Boldiroff, Léila d’autant plus mystérieuse qu’elle parlait avec une plus grande crudité de langage, dans une benoîte salle à manger en faux breton, demeurée telle que du vivant de M. Dupont-Quentin ; follement aussi devait lui plaire l’inversion de rapport entre les cheveux teints trop clairs et la peau maquillée ocre de l’hindoue.