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Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/93

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encore très jeune, sentimentale, je l’écoutai déjà séduite.

— Et il devint votre amant ?

— Et il devint mon amant. Nous quittâmes le Tyrol pour gagner l’Italie. J’étais une femme d’Orient, ignorante. J’admirais en lui l’ardeur et la jeunesse ; parfois il se laissait aller à une indifférence qui ne pouvait que me le rendre plus cher, mais j’aimais surtout cet étrange mépris des habitudes, grâce à quoi il cherchait son plaisir et le mien dans ce qui était pour moi le plus neuf et le plus curieux ; il feignait de ne s’attacher à rien ni à personne ; pourtant, même lorsqu’il niait, ce ne pouvait être sans passion ; c’était avec foi qu’il affirmait les contraires dans une même minute. Il se montrait tyrannique et ma plus grande joie eût été de me soumettre au moindre de ses caprices, mais pour devenir digne de lui je voulais ne plus céder.

« Une nuit j’eus ce rêve. Il était nu et venait de faire l’amour avec une vieille femme qui, elle, s’était contentée de relever ses jupes. Il voulut se rhabiller et dit à sa compagne : “Allons retrouver Léila, cette belle Léila.” Or la femme se mit à rire, mon nom fut une boule de caoutchouc entre ses joues ; la joie plissait son ventre et sa jupe plaquait aux mouvements de sa peau. Sa bouche avait de telles frénésies que ses deux dernières dents se déchaussèrent et vinrent rouler aux pieds de Cyrille trop bien élevé d’ailleurs pour lui en faire observation.

« Elle dit : “Tu n’aimes pas Léila. Tu la fais voyager comme une malle, et tu es heureux parce que cette malle te ressemble comme une momie à un être vivant.”

« Éveillée je regardai Cyrille endormi ; le rêve m’avait