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Tours écroulées, les oiseaux rient dans nos rêves et, par vengeance, épanouissent l’éventail de leurs plus belles et plus terribles plumes. Par les rues des villes, mon corps qui se croyait éveillé fut somnambule. Dans sa maison endormie (la paix ! mes yeux, ma poitrine, mes bras, mes jambes, mon sexe), oui, dans sa maison endormie, mon esprit retrouve sa sérénité. La vie, la mort ? Mon esprit ne permet à mon corps de continuer à vivre que par certain masochisme bien illogique.

Au réveil, je me souviens mal. Tout de même, je ne puis oublier que tel rêve avait le goût de la vie, tel autre le goût de la mort, aussi précisément que tel plat avait le goût du sucre, tel autre, le goût du sel. C’est pourquoi, je me demande : à quoi bon protéger de la mort mes jours ?

La recherche des causes finales, comme une vierge consacrée à Dieu, est stérile, écrivait Bacon. Or, il faut beaucoup de frivolité pour préférer à cette vierge stérile ses sœurs fécondes. La recherche des causes qui ne sont pas finales vaut juste un divertissement. Faute de mieux, à l’égal des autres divertissements (voyages, dancings, essais sexuels), elle ne peut qu’aider à tuer le temps. Tuer le temps ? Mais si je commence à vouloir tuer le temps, l’ennui devenant plus fort à mesure que j’en désire triompher, je me trouve contraint à de perpétuelles surenchères. Pour qui se refuse au terrible secours des problèmes essentiels, bien vite il n’y a d’autre possibilité que le geste ultime : le suicide.

Ainsi qui veut prendre des chemins frivoles et se soustraire à toute angoisse, n’en est pas moins obligé d’envisager l’idée de mort. Une telle nécessité, forçant à la douleur les plus médiocres, prête toujours une beauté tragique aux fêtes des hommes.

Mais, dira-t-on, certains se couchent sans avoir agi, sans avoir bu, sans avoir dansé, qui ne feront même pas l’amour avant de s’endormir. Supposons un de ceux-là