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eût été de s’élever jusqu’au blasphème, retombe dans l’hypocrisie d’un chantage piteux à faire rire les mouches et Dieu le père soi-même si l’on en juge par sa manière d’exaucer les oraisons de ses fidèles.

Toutes les prières se ramènent à ce modèle : mon Dieu, si vous n’êtes pas la dernière des vaches, faites que…

Faites que moi…

Moi…

Car le catholique tient à son moi, ne tient qu’à son moi, son moi dont il lui faut faire le salut et qu’il ne veut pas laisser enliser dans les sables mouvants des tentations, le chéri.

Dans toutes les polémiques engagées ou soutenues par Massis et consorts, le point de vue de ces messieurs du catholicisme était la nécessité de sauver, coûte que coûte, la notion de personne, fondement même de la société actuelle.

Personnes légales, personnes civiles, chacune se veut souveraine, oppose ses intérêts notariés à ceux de ses voisins, et dans les querelles prétendues les plus désintéressées, il n’est question que de murs mitoyens. Tout cela d’ailleurs avec des précautions oratoires, telles que, par exemple, le fameux distinguo entre justement la personne et l’individu.

Mais que l’individu s’endimanche ou non en personne, retenons la volonté, la rage du catholicisme de claquemurer chacun dans sa peau, de nier tout pouvoir de ramifications, donc d’amour, aux membres d’une espèce, laquelle n’en répond pas moins de la faute de son premier père. Cette notion de péché originel serait burlesque sans plus, si elle n’avait contraint au complexe d’infériorité des millions et millions d’hommes ; pour les mener, en conclusion, à cette formule, au moins égoïste : Chacun pour soi et Dieu pour tous.