Page:Crevel - Feuilles éparses, 1965.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
77

sensation permet d’accepter la plus vraisemblablement juste et définitive des solutions, le suicide.

N’est vraisemblablement juste ni définitif aucun amour, aucune haine. Mais l’estime où bien malgré moi et en dépit d’une despotique éducation morale et religieuse, je suis forcé de tenir quiconque n’a pas eu peur, et n’a point donné son élan, l’élan mortel, chaque jour m’amène à envier davantage ceux dont l’angoisse fut si forte qu’ils ne purent continuer d’accepter les divertissements épisodiques.

Les réussites humaines sont monnaie de singe, graisse de chevaux de bois. Si le bonheur affectif permet de prendre patience, c’est négativement, à la manière d’un soporifique. La vie que j’accepte est le plus terrible argument contre moi-même. La mort qui plusieurs fois m’a tenté dépassait en beauté cette peur de mourir d’essence argotique et que je pourrais aussi bien appeler timide habitude.

J’ai voulu ouvrir la porte et n’ai pas osé. J’ai eu tort, je le sens, je le crois, je veux le sentir, le croire, car ne trouvant point de solution dans la vie, en dépit de mon acharnement à chercher, aurais-je la force de tenter encore quelques essais si je n’entrevoyais dans le geste définitif, ultime, la solution ?


1925