Page:Crevel - Le Clavecin de Diderot, 1932.djvu/54

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ne connut plus de bornes, le jour qu’elle vint, pour la leçon, vêtue d’une robe dont la transparence révélait un fourreau de couleur chair. Du coup, je décidai qu’elle se promenait nue sous des voiles et résolus de devenir un grand musicien en son honneur, en l’honneur d’elle qui était la musique elle-même c’est-à-dire un mélange de pleureuses, bijoux, inquiétants, accords, arpèges, triolets, pédales appuyées, toutes choses qui me vengeaient de leurs contraires, en ma mère incarnés.

Je m’appliquai, fis de gigantesques progrès, et peut-être, serais-je devenu une sorte de Paderewsky, si l’imprudente n’avait répondu à ma famille qui la félicitait : mais ce petit est une oreille…

Une oreille ; était-ce donc de ma seule oreille que je l’adorais, moi qui rêvais d’un monde baigné dans la lumière de son satin chair. Une oreille, parce que je ne voulais pas être une simple oreille, je renonçai à mon oreille. J’oubliai, d’un coup, les notes, le doigté, le morceau que je savais par cœur. Après six ans, j’en sus moins qu’au bout de trois semaines. Ainsi, la spécialisation ampute et ampute de cela même, au nom, au profit de quoi elle prétend amputer.