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REFLEXIONS PRELIMINAIRES 175

forte encore pour peu qu'on veuille donner quelque attention à certaines conséquences nécessaires de rhypothèse traditionnelle. Si VIliade est l'œuvre d'un poète unique développant un plan arrêté d'a- vance, ou bien il a composé son œuvre lout entière avant de la donner au public, ou bien il en a récité les diverses parties isolément à mesure qu'elles étaient achevées. Examinons ces deux façons diffé- rentes de concevoir les choses.

Si l'on admet que l'œuvre a été faite d'un seul jet pour être livrée intégralement au public dans une de ces grandes récitations supposées, tout d'abord on rend bien plus inexplicables encore les contra- dictions intimes du poème, la marche flottante de l'action, les lenteurs du développement ; mais, ce qui est plus grave peut-être , c'est qu'on est condamné alors à se représenter le poète comme adonné pendant un temps nécessairement fort long à un tra- vail de méditation solitaire et silencieuse, qui con- traste étrangement avec les habitudes d'esprit de cet âge encore primitif. Nous voyons dans VOdyssée les aèdes préférer toujours la dernière légende, la plus nouvelle , et la prendre en quelque sorte au milieu même de son succès pour en faire le sujet de leur poésie *. Cela donne l'idée d'une sorte de concours incessant entre tous ces hommes de ta- lent pour apporter à leurs auditeurs quelque chose qui n'eût pas encore été dit. Concevrait-on, dans un tel milieu, un poète laissant vieillir à dessein la nouveauté entre ses mains et se taisant plusieurs années en vue d'un succès aussi incertain qu'éloi- gné ? N'est-ce pas dénaturer cette poésie vivante et toute voisine de l'improvisation que de la supposer

1. Odyss.j I, V. 351.

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