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LE RÉCIT 353

manière toute différente. Il eût été facile à un poète d'une âme ardente, comme Tétait l'auteur des scènes primitives de Vlliade^ d'inventer des épisodes, qui, sans modifier la marche légendaire de l'action, lui auraient donné un autre aspect. Nous imaginons sans peine une Odyssée où les voyages tiendraient moins de place, où le séjour chez Eumée serait à peine indiqué, et qui se concentrerait presque entiè- rement dans le récit de la vengeance, grossi de quel- ques scènes pathétiques; un poème tragique, animé d'un souffle guerrier, quelque chose comme les Niebelungen hellénisés. Si le poète qui a créé V Iliade avait aussi créé VOdyssée^ il nous semble qu'il l'au- rait ainsi conçue. Nous ne pouvons soupçonner assurément tout ce que sa puissante imagination aurait tiré de son sujet, mais nous sommes certains qu'il aurait su d'une manière ou de l'autre remplir son œuvre des passions énergiques de V Iliade. Il est clair qu'aucun des auteurs de VOdyssée n'avait cette fougue ni cet essor de pensées. Sans doute le temps même où ils composaient les prédisposait à un goût différent. Autour d'eux, on admirait moins qu'autre- fois la force du guerrier et le déchaînement brusque des passions ; on se détournait de plus en plus de la violence ; on appréciait chaque jour davantage les qualités qui sont propres à la vie civile, la jus- lice, l'intelligence, la sociabilité. En toutes choses, l'idéal était désormais plus humain. Et dans la poésie même, on voulait moins d'âpreté, moins de grands élans peut être, mais plus de finesse, plus d'obser- vation délicate, plus de détails vraisemblables et curieux. Le plaisir de l'esprit se mêlait de plus en plus à celui du sentiment. A coup sur les auditeurs demandaient toujours au poète de les émouvoir, mais ils préféraient une émotion plus tempérée, qui

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