Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/415

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est au fond une affection. Il veut revoir son foyer, et rien ne peut étouffer en lui ce désir, ni même le diminuer. C’est une passion moins ardente, moins tumultueuse surtout, que celle d’Achille, mais aussi fortement enracinée. Elle tient à l’homme et c’est par elle seule qu’il agit. Quand il parait pour la première fois dans le poème, retenu encore chez Calypso, c’est dans l’attitude de l’exilé qui n’a qu’une seule pensée, celle du pays natal :

« Tout le jour assis sur les rochers et sur le sable du rivage, usant ses forces dans la douleur, dans les larmes et dans les gémissements, il tenait ses regards attachés à l'horizon des flots, les joues humides de pleurs * . »

Ce regard, qui cherche Ithaque à travers l’étendue infinie des mers, nous explique du premier coup le rôle tout entier. Il y a un amour profond dans cette âme si forte et si maîtresse d’elle-même, un regret complexe, celui de la famille, du foyer, des lieux où l’on a vécu, des êtres que l'on a chéris. Lorsque Calypso cherche à inspirer du moins à Ulysse un peu d’hésitation, cet amour se révèle tout entier en quelques mots :

« Déesse, ne te fâche pas contre moi pour ce que je vais dire. Je sais, moi aussi, que Pénélope n'a point ta beauté ni ta taille divine; elle est mortelle, et toi tu es immortelle et toujours jeune. Mais malgré cela, ce que je veux, ce que je désire sans cesse, c’est de revenir chez moi, c’est de voir luire le jour de mon retour. Et si quelque dieu doit me faire souffrir encore au milieu de la mer sombre, eh bien ! je supporterai cela, car j’ai un cœur habitué à la souffrance. Déjà j’ai enduré bien des peines et bien des fatigues sur les flots et dans les combats ; que ce mal nouveau s’ajoute aux maux que j’ai subis précédemment!^ »

1. Odyssée, V. 155-159.

2. Odyssée, V. 214-224.