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SENTIMENTS RELIGIEUX ET MORAUX 509

Jamais le pessimisme n'a rien trouvé de plus déso- lant que cette simple lamentation, qui embrasse le monde entier. Et toutefois Hésiode n'est pas pessi- miste, car il aime la vie et se rattache avec passion aux quelques joies qu'elle lui laisse espérer. Nul- lement curieux de philosopher, il ne tient pas à examiner longuement ce qu'on lui a raconté des ori- gines de cette dure condition humaine. Un ou deux mythes, contes d'enfants qui amusent l'imagination et répondent d'avance à toutes les questions, c'en est assez pour le satisfaire, lui et ses auditeurs. Les dieux ont arrangé les choses ainsi : il ne se révolte pas plus contre eux qu'il ne s'incline avec respect devant leur volonté ; il s'abstient seulement de récri- miner, parce que cela serait inutile ; et, prenant les choses telles qu'elles sont, son intelligence se tourne tout entière vers le présent et l'avenir. Voilà la vie qu'il faut vivre ; il s'agit de lui arracher de force ce qu'elle ne nous donne pas elle-même, un peu de bien-être et de sécurité ; et pour cela, il n'y a qu'un moyen, qui est de travailler. Une fois attaché à cette idée, Hésiode s'y donne tout entier, et, comme il arrive ordinairement, il finit par prendre plaisir, au moins en imagination, à ce qu'il recommande si for- tement. La noblesse native et l'énergie de sa nature s'y intéressent ; il estime qu'il y a de l'honneur dans cette vie laborieuse, comme il y a de la honte dans l'oisiveté imprévoyante. Ainsi ses conseils devien- nent peu à peu supérieurs aux raisons par les- quelles il les justifie. Un idéal obscur, mais géné- reux, se laisse deviner derrière l'idéal borné qu'il nous propose ; c'est le sentiment de la dignité humaine et la fière satisfaction d'avoir gagné sa part de bonheur à force d'intelligence et de vo- lonté.

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