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INTRODUCTION

celles des sens. L’âme hellénique, en général, est trop ouverte, trop accessible de tous côtés, pour s’enfermer dans une passion sombre et dominante. De là cette grande et précoce expérience de la vie qui se fait remarquer déjà dans les plus anciennes poésies épiques. L’homme s’y montre plein de contrastes, avec des nuances inattendues de sentiments et d’idées, avec des péripéties de passion qui sont admirables ; il s’y plie à tous les rôles et s’adapte à toutes les situations ; il est chef ou sujet, soumis ou révolté, il est père, époux, fils, ami ou ennemi, le tout non seulement avec naturel et convenance, mais avec une variété profonde. Le jeu des facultés humaines n’a peut-être été dans aucune autre race aussi libre, aussi prompt, aussi étendu.

C’est à cela sans doute qu’il faut attribuer une des plus remarquables qualités de la race grecque, sa vive et inépuisable curiosité, qui se manifeste de tant de manières dans tout ce qu’elle a créé. En fait de sciences naturelles ou morales, d’histoire, de géographie, de philosophie, de mathématiques, les Grecs ont été des curieux dans le meilleur sens du mot, et c’est ainsi qu’ils ont posé les premiers presque tous les grands problèmes et inauguré presque toutes les bonnes méthodes. L’énigme, sous quelque forme qu’elle s’offrît à eux, les a toujours tentés, celle du monde particulièrement. Partout, ils ont voulu voir et connaître. Ce besoin d’interroger tout ce qui peut répondre éclate chez les premiers philosophes physiciens de l’Ionie ; il s’exprime avec une naïveté et une grandeur merveilleuses dans tout l’ouvrage d’Hérodote, si profondément hellénique ; et, dans l’histoire de toutes les sciences, il reste comme une des gloires de l’école péripatéticienne, qui a ouvert tant de routes à la recherche et attaché