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INTRODUCTION

bondant, ont substitué le procédé analytique au procédé synthétique là où ils y ont vu quelque avantage, et ont déterminé avec une finesse judicieuse la valeur exacte des formes qu’ils conservaient[1].

Si de l’étude des flexions, nous passons à celle de la syntaxe, ce qui appelle notre attention, c’est encore la liberté intelligente et ingénieuse qui s’y associe tout naturellement à l’ordre. Quand la langue grecque établit une règle, c’est-à-dire un usage certain et généralement appuyé sur une raison, il est rare qu’elle s’y asservisse. Elle a, pour ainsi dire, sa logique à elle, souple, légère, artistique, qui n’est pas du tout la logique impérieuse et inflexible de l’école. Par exemple, celle-ci, avec son dogmatisme absolu, défend de mettre au passif un verbe qui ne comporte pas à l’actif de complément direct, et les langues qui aiment les lois rigoureuses lui obéissent ponctuellement. Nous disons en français : je nuis à quelqu’un, et, comme ce quelqu’un est complé-

  1. Il suffit de parcourir une liste des verbes grecs dits irréguliers, pour remarquer combien de formes, naturellement indiquées par l’analogie, la langue grecque a laissées tomber en désuétude ou peut-être même n’a jamais créées. D’une manière générale, la langue du temps de Périclès ou d’Alexandre est moins riche que la langue homérique. On trouve pourtant alors dans la conjugaison quelques formes que celle-ci ne connaissait pas, par exemple les futurs passifs en θήσομαι, les parfaits dits aspirés, tels que πέπραχα. Cela prouve que le procédé synthétique était encore vivant pour les Grecs ; mais ils continuaient à en user avec choix et modération. C’est ainsi que les formes synthétiques des modes du parfait et celles du plus-que-parfait (λελύκω, λελύκοιμι, ἐλελύκειν) étaient fréquemment remplacées dans le langage écrit, et sans doute beaucoup plus souvent encore dans l’usage courant, par les formes analytiques correspondantes (λελυκώς ὦ, εἴην, ἦν), parce qu’elles impliquaient un sens assez complexe que l’analyse mettait mieux en lumière.