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tragédie perdue de Térée, souvent, quand j’ai pensé à notre nature, à nous femmes, j’ai senti le peu que nous sommes. Dans notre enfance, nous vivons, il est vrai, de la vie la plus douce : n’est-ce pas un charme pour tous que d’ignorer ? Mais quand nous atteignons la jeunesse, quand s’éveille la pensée, on nous chasse au dehors, on nous vend loin des dieux de nos pères, loin de ceux qui nous ont donné le jour ; les unes vont chez des étrangers, les autres chez des barbares,… et quand une seule nuit a serré le lien de notre vie, il faut louer notre sort et dire qu’il est bon[1]. » Déjanire, dans les Trachiniennes, a des réflexions semblables[2]. Si elles ne dégénèrent jamais chez Sophocle, comme chez Euripide, en dissertations, elles n’en sont pas moins souvent présentes et sensibles, alors même qu’elles demeurent en quelque sorte latentes.

V

Les parties chantées sont loin d’offrir dans les tragédies de Sophocle le même développement que dans celles d’Eschyle. Malgré cela, elles en forment encore un élément important et elles nous révèlent un des plus remarquables aspects de son génie poétique[3].

Un des chœurs d’Aristophane, celui de la Paix, énumérant les biens qu’il attend de la cessation des hostilités, vante le plaisir d’entendre au jour des Dionysies « le son des flûtes, les tragédies, les chants de Sophocle[4]. » C’était un charme pour le peuple athénien ; et, quatre

  1. Fragm. 521, Nauck.
  2. Trachiniennes, 144.
  3. Consulter particulièrement sur ce sujet : Muff, Die chorische Technik des Sophokles ; O. Henze, Der Chor des Sophokles ; H. H. Schmidt, Die Kunstformen der Griechischen Poésie, t. II.
  4. Aristoph., Paix, 531 et la scolie.