Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni de la réflexion abstraite comme Eschyle, ni de la broderie descriptive comme Euripide. Alors même qu’il dépeint la nature, comme dans le chant bien connu relatif à Colone, il suit une idée qui l’empêche de s’égarer dans de vains détails. Il ne décrit pas son pays pour le décrire, au gré de souvenirs plus ou moins capricieux ; il le décrit pour le louer, et, tout à son dessein, il rapporte ses traits principaux à une même conception, qui s’impose à nous par son unité poétique et vivante. Sophocle, dans la poésie lyrique comme ailleurs, est toujours l’Hellène par excellence, chez qui la raison apparaît dans tout ce que créent l’imagination et le sentiment.

Il y a pourtant dans ses tragédies tout un groupe de chants où la fantaisie se joue avec une liberté particulière. Ce sont les hyporchèmes joyeux et dansants qu’il aime à insérer, pour produire un contraste émouvant, un peu avant la catastrophe, ou tout au moins avant les péripéties décisives du drame. Il s’agit alors d’exprimer un sentiment fugitif de joie, dû souvent à une illusion, et, pour traduire cette allégresse subite, sa poésie prend elle-même une légèreté d’essor qui appelait naturellement la danse. Quand le chœur, dans Œdipe roi, apprend qu’Œdipe n’est pas fils de Polybe, mais qu’il a été recueilli, enfant, dans une vallée du Cithéron, un pressentiment trompeur lui fait croire qu’il est fils d’un dieu, et, plein d’une soudaine confiance, il célèbre le glorieux mystère :

« Si mon âme pressent, si mon esprit a son instinct, non, par l’Olympe, ô Cithéron, nous ne négligerons pas, quand la lune va briller en son plein, de te célébrer au nom d’Œdipe, lieu de sa naissance, montagne nourricière et maternelle, et nous irons vers toi en dansant, parce que tu fus bienfaisante à nos maîtres. Phœbus, Phœbus, que nos chants soient agréés de toi !

» Laquelle, ô enfant, laquelle t’a mis au monde d’entre les » Laquelle, ô enfant, laquelle t’a mis au monde d’entre les nymphes immortelles ? Est-ce Pan, le divin coureur des montagnes, qui l’avait aimée ? Ou bien a-t-elle dormi dans les bras de Loxias ? car les régions sauvages lui sont toutes chères. Et peut-être est-ce le roi du Cyllène, peut-être est-ce le divin Bacchios, habitant des hautes cimes, qui t’a reçu pour t’élever d’une de ces nymphes de l’Hélicon, avec lesquelles il se plaît à jouer[1]. »

  1. Œdipe roi, 1086.