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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/411

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SILÈNE 399

œil; et j'erre tout en peine, pauvre esclave, couvert de cette misérable peau de bouc et privé de ton affection *. »

Ainsi faits et chantant ainsi, ces satyres, tout grossiers qu'ils étaient parfois, ne manquaient, on le voit, ni do gentillesse ni de poésie. C'était le mérite délicat des plus fins poètes que de varier et de mélanger les aspects contraires de ces êtres bizarres, moitié hommes, moitié bêtes ; ils faisaient rire le peuple par leur bouffonnerie et l'incongruité de leurs instincts, mais ils le charmaient aussi par une naïve et poétique révélation de la grande nature inconsciente qui enveloppe l'humanité et qui la dépasse si largement.

Au dessus d'eux et en dehors du chœur était le vieux Silène, digne chef de cette troupe cabriolante. Élevé au rang d'acteur, il figurait, non dans l'orchestra, mais sur la scène. Ses instincts d'ailleurs ne le distinguaient en rien des satyres ; mais^ plus âgé, s'il n'avait pas leur grâce de jeunes chevreaux, il y suppléait par un peu plus de savoir-faire. D'ailleurs, aucune notion du bien et du mal. Homme, ce serait un affreux coquin ; mais il n'est pas vraiment homme, car il n'y a en lui qu'une conscience incomplète ; c'est une nature élémentaire, un être primitif, qui a tout juste assez d'humanité pour les besoins de l'art, mais non pour être responsable de ce qu'il fait. Gommecostume distinctif, il portait, lui aussi, soit un maillot entièrement garni de touffes de laine ()(^iTO)v j^opToïo*;), qui devait avoir l'aspect d'une toison, soit un justaucorps et une sorte de caleçon, le tout en peau de chèvre à long poil ; son masque difforme, ap- paraissant au-dessus de ce corps velu, semblait appar- tenir à un être sauvage ^. La grande affaire de sa vie était de boire ; l'outre pleine de bon vin ne le quittait

1. Euripide, Cyclope, 41-81.

2. A. Millier, Griech. Bûhnenalterth. p. 242.

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