Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/113

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est à remarquer que chaque fois qu’il ne borne pas son rôle en pareille matière à constater la croyance d’autrui, chaque fois qu’il exprime une opinion personnelle, cette opinion est défavorable à toute cette catégorie de merveilleux, et presque dédaigneuse parfois dans la forme. On fait valoir qu’il signale une prophétie comme s’étant réalisée ; c’est la prophétie relative aux vingt-sept années que devait durer la guerre. En effet ; mais il signale le fait à titre de pure curiosité ; ajoutant que, dans la foule des prophéties auxquelles la guerre avait donné naissance, celle-là est la seule qui se soit réalisé[1]. La remarque ajoutée par Thucydide a d’autant plus de portée que rien ici ne l’obligeait de la faire, s’il n’avait tenu à bien montrer qu’il n’était pas, quant à lui, de ceux, qui aiment à fonder leurs opinions sur des oracles (οἱ ἀπὸ χρησμῶν τι ἰσχυριζόμενοι). Il ne serait pas difficile non plus de trouver une pointe de raillerie dans les réflexions qu’il présente sur les prophéties relatives soit à la peste (λοιμός ou λιμός), soit au lieu appelé Πελασγικόν[2]. Rappeler en ces termes des présages ou des oracles, ce n’est pas faire acte de respect et de foi ; c’est tout le contraire. Ailleurs encore, parlant de l’effroi causé à Nicias par une éclipse, il le blâme de sa superstition ; le reproche est atténué dans la forme par le sentiment de respect que lui inspire en général la dignité morale de Nicias, mais le fond de l’idée est très net[3], et cette idée, paraît bien résumée dans le conseil des Athéniens aux habitants de Mélos : « Ne faites pas comme la plupart des hommes, qui, pouvant encore se tirer de péril par des moyens humains, abandonnent dans les revers les motifs naturels et tangibles d’espérer, et fondent leur espoir sur des raisons obscures, la

  1. Thucydide, V, 26, 3-4.
  2. Thucydide, II, 54, 17.
  3. Thucydide, VII, 50, 4 : ἦ γάρ τι καὶ ἄγαν θειασμῷ τε καὶ τῷ τοιούτῳ προσκείμενος.