Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/117

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proclamé qu’un poème épique, fût-il d’Homère, n’était pas un document historique digne de foi, et qu’il n’avait de valeur comme source d’information qu’à la condition d’être interrogé par un esprit critique. Thucydide a vu cela, et les lignes essentielles de son travail de reconstruction subsistent encore dans leur ensemble.

S’il s’agit de raconter des événements récents, la même cause d’erreur menace l’exactitude de l’historien. Mais il est plus facile de s’en défendre en s’appuyant sur le même principe. En revanche, d’autres dangers exigent d’autres remèdes.

La plupart des hommes acceptent pour vraie la première opinion venue ; une certaine paresse d’esprit les y fait acquiescer tout d’abord. Mais le véritable historien sait que, dans tous les cas où il doit raconter ce qu’il n’a point vu de ses propres yeux, la recherche de la vérité est laborieuse, et il n’y ménage pas sa peine[1]. Ici encore il y a des règles à suivre.

On sait quel est, aux yeux des modernes, le prix des documents authentiques. Thucydide n’en ignore pas la valeur. Il a cité dans leur teneur exacte et officielle plusieurs traités[2], par exemple celui qui établit ce qu’on appelle la paix de Nicias (V, 23), ou encore le traité conclu, un peu plus tard, entre Athènes d’une part et de l’autre les Argiens, les Éléens et les Mantinéens (V, 47). Mais il ne suit pas toujours la même méthode. Il raconte, par exemple, qu’après l’arrivée de Gylippe en Sicile, Nicias, commandant de l’armée athénienne, écrivit au peuple une lettre pour lui exposer l’état des choses[3]. Si cette lettre de Nicias fut réellement écrite, comme il est probable, le texte original devait en être

  1. Thucydide, I, 20, 3.
  2. Il n’y a aucun raison d’admettre, avec M. de Wilamowitz-Mœllendorff (Hermès, t. XII, p. 338), que le texte de ces traités ait été introduit postérieurement dans le texte de Thucydide.
  3. Thucydide, VII, 11-15.