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les échauffent et tirent de leur esprit plus qu’ils n’y trouvent sans cette chaleur[1]. » La Bruyère disait aussi : « C’est un métier que de faire un livre comme de faire une pendule ; il faut plus que de l’esprit pour être auteur[2]. » C’est ce métier qui manqua longtemps à la Grèce ; elle avait beaucoup d’esprit, mais non ce qui permet à l’esprit de faire durer la trace de ses improvisations éloquentes.

On ne saurait négliger entièrement cette longue tradition, qui a préparé la littérature oratoire. C’est là que les premiers maîtres de rhétorique ont puisé l’idée de leurs règles ; c’est sur ce fond que les premiers orateurs savants ont travaillé. L’étude de cette éloquence non écrite, si elle est possible, est donc nécessaire ; c’est l’introduction naturelle à celle des orateurs qui ont écrit. Or, malgré l’absence des documents directs, qui, par définition même, doivent ici nous faire défaut, il n’est pas très difficile de ressaisir au moins les traits essentiels de cette période préparatoire ; on peut l’aborder de biais, sinon de front, et par plusieurs côtés ; on peut, à travers les peintures des poètes, les indications des historiens, les analogies des âges postérieurs, découvrir les principales lignes de son évolution et, pour la partie la plus récente, décrire même avec précision quelques physionomies de grands orateurs. Il en est de ces orateurs qui n’ont pas écrit, comme des acteurs : quand ils ont eu du génie, le reflet s’en conserve dans le souvenir des contemporains.

§1

Dès le temps d’Homère, la Grèce est éloquente et préoccupée de bien dire[3]. L’Iliade et l’Odysée sont

  1. Pascal, Pensées, VII, 6 (éd. Havet).
  2. Des ouvrages de l’esprit (début).
  3. Cf. Maurice Croiset, De publicæ eloquente principiis apud Græ-