Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/210

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d’y tenir sa place avec honneur. L’homme, comme le dira plus tard Aristote, est un animal politique. La vie politique au sens grec du mot, c’est-à-dire la vie dans la cité (par-opposition à la vie barbare ou semi-barbare) est la forme par excellence de la vie humaine ; elle comprend à la fois ce que nous appelons aujourd’hui vie politique, vie morale, vie intellectuelle. La science utile entre toutes, par conséquent, est celle qui a pour objet de former le citoyen au sens complet du mot, l’homme en qui se résume le plus complètement et s’épanouit la vertu, telle que la conçoit une intelligence athénienne du ve siècle. Sur ce point encore, Socrate est d’accord avec les sophistes. Eux aussi prétendent former l’ « honnête homme », le καλὸς κὰγαθός qui est l’exemplaire achevé de la civilisation grecque de leur temps. Pour eux comme pour lui, la science par excellence est la science morale. Mais voici la différence.

Pour Gorgias et Protagoras, purs sceptiques au fond, la science morale est toute dans les mots ; elle est la rhétorique ou l’éristique. Prodicos, moins rhéteur et moins sophiste que les autres, parle souvent en bons termes de la vertu ; mais il ne sait pas pourquoi ce qu’il dit est juste, et il distingue mal la vérité de l’erreur. Il obéit à une inspiration naturelle qui est parfois heureuse, mais qui n’a rien de scientifique. Il en est de même de ceux qui suivent simplement l’opinion commune : ils peuvent avoir raison, mais ils peuvent se tromper, et dans les deux cas ils vont au hasard. Le caractère propre de la science est de ne pas marcher au hasard. Elle sait ce qu’elle fait. Elle se rend compte à elle-même de ses affirmations et peut en rendre compte aux autres, non pas d’une manière simplement apparente et illusoire, comme font la rhétorique et l’éristique, fausses sciences, inutiles par conséquence ou même