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Le mot sophistes, en français, désigne habituellement un homme qui fait un raisonnement captieux. En grec, σοφιστὴς a déjà le même sens au IVe siècle[1]. Mais c’est là un sens dérivé. Proprement, le σοφιστὴς est celui qui fait profession de σοφία, c’est-à-dire de science, et comme le mots « science » peut désigner tour à tour des choses fort différentes selon les temps, il arrive que Pindare appelle sophistes ceux qui cultivent la poésie, tandis qu’Hérodote donne le même nom tantôt à des maîtres de la sagesse pratique, comme les Sept Sages[2], tantôt à un véritable philosophe et savant comme Pythagore[3]. Dans la seconde moitié du Ve siècle, ce nom s’applique par excellence à tout un groupe d’hommes qui font profession à leur tour de posséder et d’enseigner la σοφία, la science, et qui ont marqué si fortement le mot « sophiste » à leur propre empreinte qu’il n’a plus servi désormais qu’à désigner ceux qui leur ressemblent. La nouveauté de la sophistique n’est donc pas dans le mot dont on la nomme ; elle est ailleurs. Elle est d’abord dans la-hardiesse avec laquelle les sophistes se donnent a eux-mêmes cette appellation et en battent monnaie. Jusque-là on recevait des autres le titre honorable de sophiste, on ne le prenait pas ; Protagoras, le premier, se pare ouvertement de ce titre, et se fait payer[4]. La nouveauté est ensuite et surtout dans la « science » que les sophistes s’attri-

  1. Aristote, Réf. des Soph., 34 (p. 185, A, 21) : Ἔστι γὰρ ἡ σοφιστικὴ φαινομένη σοφία, οὗσα δ’οὔ, καὶ ὁ σοφιστὴς χρηματιστὴς ἀπὸ φαινομένης σοφίας ἀλλ’οὐκ οὔσης.
  2. Hérodote, I, 29
  3. Id., IV, 95.
  4. Platon, Protagoras, p. 349, A : Σύ γ’ἀναφανδὸν σεαυτόν ὑποκηρυξάμενος εἰς πάντα τοὺς Ἕλληνας σοφιστὴν ἐπονομὰσας σεαυτὸν, ἀπέφηνας παιδεύσεως καὶ ἀρετῆς διδάκαλον, πρῶτος τούτου μισθὸν ἀξιώσας ἄρνυσθαι.