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d’être que par rapport à l’homme, et dans la mesure où l’homme le connaît. En d’autres termes, il n’y a que des idées. Le vrai, ce sont des idées bien liées ; le faux, des idées mal liées. La logique, ὀρθὸς λόγος, est la science suprême. La seule σογία, c’est de s’enfermer dans le domaine des idées humaines et de les lier suivant une logique exacte, κατὰ τὸν ὀρθότατον λόγον[1]. Mais cette logique même est essentiellement sceptique. Ce qui fait l’exactitude du discours, ὀρθότης τοῦ λόγου, ce n’est pas l’exactitude du rapport entre les idées et la réalité objective, puisque cette réalité objective n’existe que par les idées, et qu’on peut tirer des choses tout ce qu’on veut. Ce n’est même pas une analyse rigoureuse de ces idées, à la manière de Socrate, et le soin de donner aux mots toujours le même sens ; c’est plutôt tout le contraire. De même qu’il réduit les choses aux idées, Protagoras tend à réduire les idées aux mots, si bien que sa logique, en fin de compte, est l’art de tirer des mots, comme les choses, tout ce qu’on veut. Il n’y a donc pas de thèse qui soit essentiellement vraie, ni fausse, ou, selon la terminologie de Protagoras, forte ni faible : tout se ramène à une question de pure forme et d’argumentation. D’où la célèbre promesse de Protagoras[2] : il se charge de faire triompher la mauvaise cause et succomber la meilleure, ou, selon son expression, de rendre plus fort le discours le plus faible et plus faible le plus fort[3]. Gorgias, en d’autres termes, disait à peu près la même chose[4]. On voit la différence de la sophistique et de la rhétorique sicilienne : celle--

  1. Exemple dans Plutarque, Périclès, 36.
  2. Aristote, Rhét., II, 24 : τὸ τοῦ Πρωταγόρου ἐπάγγελμα.
  3. Τὸν ἤττω λόγον κρείττω ποιεῖν (Platon, Apologie, p. 18, B ; Aristote, Rhét., II, 24). Cf. Aristophane, Nuées, 112, sqq., 875 sqq., 882 sqq ; Xénophon, Économ., 11, 25 (τὸ ψεῦδος ἀληθὲς ποιεῖν). Cf. aussi Aulugelle, Nuits att., Vi 3, 7.
  4. Phèdre, p. 267, A.