Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son style au-dessus du langage simplement parlé et manifeste son intention de faire œuvre d’artiste.

Même souci dans le vocabulaire. Les discours de Gorgias étaient remplis de ces mots ou archaïques, ou poétiques, ou hardiment créés, que les Grecs appelaient γλῶτται, par opposition aux termes usuels et courants (κύρια ὀνόματα). Dans l’emploi de ces mots d’exception, Gorgias vise un double but. D’abord une certaine noblesse que les termes ordinaires n’ont pas et qui fait une partie essentielle de sa conception de l’éloquence. On comprend qu’il aimât peu les discours judiciaires ; s’il y préparait ses élèves, lui-même n’en écrivait pas ; impossible, en effet, de mettre ces beaux mots poétiques dans la bouche d’un plaideur vulgaire. Il aime les épithètes hardies, les belles métaphores[1]. Ce n’est la pourtant, dans l’éloquence, qu’un ornement. Mais Gorgias recherche aussi la précision subtile, la profondeur, et par là il entre bien plus avant dans le génie de son art. Pour atteindre ces qualités, il use et abuse des ressources de la langue grecque : il aime les mots abstraits ; il emploie substantivement les adjectifs et les participes[2] ; il multiplie les substantifs verbaux[3]. Une page de Grorgias est tout hérissée de ces hardiesses ; l’accumulation en est extraordinaire ; l’excès est évident, mais ne doit pas reléguer dans l’ombre le très méritoire effort pour faire exprimer à la prose grecque des finesses inconnues ; Thucydide se souviendra de cet exemple et en tirera parti.

Dans la, construction de la phrase, les nouveautés ne sont pas moins grandes, et elles s’inspirent du même esprit : éclat, beauté, noblesse, d’une part, de l’autre,

  1. Ἔμφθτος Ἄρης ἐνόπλιος ἔρις, φιλόκαλος εἰρηνη. Cf. aussi Aristote, Rhét., III, p. 1405, B, 37.
  2. Τὸ παρὸν ἐπιεικὲς τοῦ αὐθάδους δικαίου προκρίνοντες.
  3. Καλασταί, ὑβρισταί, etc.