Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/72

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Le discours qu’il prononça pour sa propre défense, quand il fut poursuivi en raison de la part qu’il avait prise à la révolution, est certainement le plus beau plaidoyer qui ait jamais été prononcé jusqu’à nos jours. » Agathon, le poète tragique, félicita le condamné sur la beauté de son discours, et, Antiphon lui répondit qu’un homme de cœur devait attacher plus de prix à l’approbation d’un juge tel que lui qu’à celle d’une foule ignorante[1]. Cette fière réponse est bien d’accord avec un autre mot que rapporte Suidas et qui était peut-être emprunté à sa défense même : « Mon adversaire vous a demandé d’être sans pitié pour moi ; pense-t-il donc que je vais recourir aux larmes et aux supplications pour essayer de vous persuader[2] ? » On voit la physionomie de l’homme ; au moral, une énergie hautaine, une vie considérée ; en politique, le mépris de la foule et l’éloignement habituel des affaires, mais s’il le faut, l’action la plus résolue et la direction même d’un complot ; en somme, un vigoureux esprit, bien plus tourné à la pratique qu’il ne semble à première vue.

Son rôle oratoire présente des traits analogues. Il est théoricien et professeur avant tout, mais en vue de la réalité pratique, en vue des discours judiciaires que méprisait Gorgias, et en vue de l’assemblée du peuple, où il saurait, dans l’occasion, se montrer lui-même redoutable ; grand orateur au besoin, plus souvent maître de rhétorique, mais avec une solidité de jugement, un sérieux, une justesse de goût littéraire qui révèlent tout de suite l’Athénien de race et qui le mettent à part des autres sophistes ses contemporains.

L’antiquité possédait, sous le nom d’Antiphon, des

  1. Aristote, Morale à Eudème, 3, 5.
  2. Fragm. 77, Blass.