Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/79

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uns sont de tous les temps, et dont les autres, particulièrement appropriés aux Athéniens du Ve siècle, sont par là même d’un vif intérêt historique. De tout temps les crimes qui semblent menacer tout le monde ont chance d’être plus sévèrement punis par des jurés que ceux qui paraissent avoir un caractère exceptionnel ; de tout temps aussi les avocats sont sûrs d’effrayer le jury en lui montrant que sa sentence aura des effets irréparables. Antiphon connaît ce genre d’arguments[1], car il connaît le cœur de l’homme. Il connaît aussi ses contemporains. Il sait qu’un juge athénien se méfie des beaux parleurs, et il a soin de faire dire à son client qu’il ne sait pas parler[2]. Il sait qu’un bon Héliaste est un démocrate, jaloux de faire payer les riches, et il apprend à son client qu’il faut toujours se vanter d’avoir été très large dans le paiement des diverses contributions publiques, triérarchies, chorégies, liturgies de toute sorte[3]. Il sait enfin que l’Athénien est foncièrement religieux, qu’il à une peur extrême d’avoir les dieux pour ennemis, et que cette crainte parfois l’affole[4]. Il faut donc se faire de sa religion une alliée ; si l’on est accusateur, on effraiera le jury par la pensée du crime resté impuni ; si l’on est accusé, on l’effraiera encore par la pensée de l’innocence injustement condamnée[5]. Dans tout cela, encore une fois, rien de frivole ni de proprement sophistique. Renfermés dans le domaine de la vérité contingente, qui est celui des affaires humaines, et consciencieusement appliqués à la réalité par un homme qui ne cherche pas à défendre

  1. Tétral., I, 4, 12 ; fragm. 68.
  2. Ibid., II, 2, 1-2.
  3. Ibid., I, 2, 12 ; cf. I, 3, 8. Ce genre d’argument abonde chez tous les orateurs attiques.
  4. Procès des Hermocopides, procès des généraux vainqueurs aux Arginuses.
  5. Ibid., III, 1, exorde ; I, 1 et I, 3, péroraisons.