Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/98

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le pont qui commandait le fleuve ; s’il avait poussé son avantage, il aurait pris Amphipolis, sans-coup férir. Mais il s’arrêta pour piller. Euclès s’empressa de faire prévenir son collègue Thucydide. Celui-ci n’avait sous la main que sept navires : le surplus de l’escadre était probablement en croisière sur la côte. Thasos était à une demi-journée de l’embouchure du Strymon. Sans perdre un instant, Thucydide se mit en route et il arriva le soir même à Eion, petit port à l’embouchure du fleuve, dont il s’empara. Mais il était déjà trop tard. Brasidas, averti de l’arrivée de Thucydide, dont il redoutait l’influence, s’était hâté de conclure un arrangement avec les habitants d’Amphipolis, qui l’avaient reçu dans leurs murs. Tout ce que put faire Thucydide fut de prévenir la chute d’Eion. Tel est le récit de Thucydide, probablement écrit dans une intention d’apologie, mais très vraisemblable. On ne voit pas qu’il soit responsable à aucun degré de la chute d’Amphipolis. Les Athéniens cependant n’en jugèrent pas ainsi. La démocratie, toujours défiante, ne savait guère subir un échec sans chercher un coupable. Thucydide, selon Marcellin, fut accusé de trahison et condamné à l’exil[1]. Cléon était alors tout-puissant, et l’on a supposé que l’accusation venait de lui ; ce n’est qu’une conjecture. Il n’est pas bien certain non plus que la peine prononcée ait été l’exil. Il semble plus probable qu’il fut condamné à mort (c'était la conséquence d’une γραφὴ προδοσίας), et qu’il prévint par la fuite l’exécution de la sentence. Quoi qu’il en soit, à la suite de ces événements, Thucydide, suivant son propre témoignage, quitta sa patrie, d’où il resta absent pendant vingt ans[2].

La vie active lui était fermée ; il se rejeta tout entier

  1. Marcellin, 55. Cf. Cicéron, de Orat. II, 13, 56.
  2. Thucydide, V, 5, 26, 5 (ξυνέβη μοι φεύγειν τὴν ἐμαυτοῦ ἔτη εἴκοσι μετὰ τὴν ἐς Ἀμφίπολιν στρατηγίαν).