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CHAPITRE III. — RHÉTORIQUE, HISTOIRE, ETC.

Timoléon, il en fait un dieu[1]. S’il attaque Aristote, Démocharès ou Agathocle, c’est avec une violence de termes qui est indécente et ridicule[2]. On croirait entendre un poète satirique ou un orateur de panégyrique. Les discours qu’il prête à ses personnages n’ont rien de vrai. Il ne s’inquiète pas de savoir ce qu’ils ont dit réellement et de chercher dans leurs paroles l’explication profonde de leurs actes : il ne s’occupe qu’à leur prêter des phrases qu’il croit éloquentes et qui ne sont que ridiculement prétentieuses ; par exemple, ce sot discours qu’il met dans la bouche du Syracusain Hermocrate, et qui est plus digne d’un élève des rhéteurs que d’un homme d’état[3]. Polybe y voit un mensonge intentionnel ; disons plutôt que c’est un manque de goût lamentable.

Tout le style de Timée est gâté par cette affectation. Ce n’est pas qu’il fût sans talent : Longin lui reconnaît parfois de la grandeur[4]. Cicéron loue son habileté à faire la phrase[5]. Il le déclare un des plus admirables parmi les Asiatiques[6]. Mais c’est un Asiatique, en somme, un Asiatique à la façon d’Hégésias, c’est-à-dire un de ces rhéteurs prétentieux et puérils dont tout l’effort n’aboutit qu’à donner une impression générale de froideur et d’ennui[7].

Timée avait assez généralement, au temps de Polybe, la réputation d’être le premier des historiens[8]. Rien ne montre mieux que ce fait la décadence profonde de

  1. Id., ib., 23. 4.
  2. Id., ib., 8, 3-4 ; 13 ; 15. Cornelius Nepos range Timée (Alcib. 24) parmi les maledicentissimi scriptures.
  3. Polybe, XII, 26 ; cf. 25, k ; 25 a, 3-5 ; 23 b, 4 ; 26 b ; 26 d, 6 ; etc.
  4. Pseudo-Longin, Sublime, 4, 1.
  5. De Orat., II. 14.
  6. Brutus, c. 93.
  7. Cf. Denys d’Halic., t. II, p. 125, 25 ; Plutarque, Nicias, 1 ; Pseudo-Longin, 4, 1.
  8. Polybe, XII, 28, 6.