Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

son aurore. On trouve dans celui-ci de la grâce, une fraîcheur délicieuse, plutôt que de la passion proprement dite ; l’imitation littéraire, d’ailleurs, et en particulier l’imitation de Sappho, semble avoir été pour beaucoup dans l’inspiration du poète. La XIIe idylle, « au bien-aimé » (Ἀΐτης), est la chant da l’amour heureux : quelques vers y peignent avec force, ou avec grâce encore, l’élan tendre de la passion (« j’ai couru vers toi comme le voyageur brûlé par la soleil court vers l’ombre d’un chêne ») ; mais l’amour heureux a plus de loisirs et de liberté d’esprit que l’amour contrarié : on s’en aperçoit ici à quelques traits qui ne sont qu’ingénieux ou délicats, à quelques allusions érudites ou mythologiques qui trahissant l’alexandrin. On peut en dire à peu près autant da la XXIXe idylle, et même de la IIIe (Le chevrier, ou Amaryllis). C’est surtout dans la XXXe, sous son propre nom, ou encore dans la IIe et la XIIe, sous le nom de la magicienne at du cyclope, qua Théocrite a exprimé toute la force de l’amour, exaspéré par la dédain, devenu douloureux et terrible.

La « magicienne » est une jeune fille qui cherche dans la magie un moyen de ramener son amant : un regard a suffi pour la livrer au délire ; depuis, elle se consume et se dessèche, elle a recours à tous les sortilèges. Dans un monologue entrecoupé de refrains, elle poursuit d’abord, avec l’aide de sa servante, sa conjuration magique, puis, restée seule sous la lumière de la lune, elle raconte la naissance de son amour et ses mortels tourments. Toute la pièce est brûlante de passion : Théocrite qui s’est souvenu de Sappho[1], inspirera à son tour la Médée d’Apollonios et la Didon de Virgile :

Voici que se tait la mer et sa taisent les vents : mais au-dedans de ma poitrine ne se tait pas la douleur. Car je brûle

  1. Vers 82-90.