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THÉOCRITE ; IDYLLES RUSTIQUES

transformée : le poète en choisit les traits ; il élimine certains caractères du réel, il en modifie d’autres ; et cela, justement, en vue d’une opposition plus tranchée avec la vie artificielle et complexe de la civilisation contemporaine. Dans ce travail, d’ailleurs, il suit l’instinct de sa nature d’artiste ; il se conforme in son propre génie. — De la une image personnelle et neuve de la nature, des hommes qui y vivent, de leurs pensées, de leurs sentiments, de leurs occupations.

La nature, chez Théocrite, n’est point la dure marâtre décrite par Hésiode ; elle ne présente pas non plus les grands aspects mélancoliques ou tragiques où se complaît parfois le génie de Virgile. Elle est riante et lumineuse. Théocrite ne nous la montre guère que par un éternel beau jour de la saison clémente, dans la montagne ou paissent les troupeaux, dans le champ moissonné, dans l’enclos embaume par tous les fruits de la récolte, sous le grand soleil de la Sicile, avec la ligne bleue de la mer à l’horizon[1]. C’est ainsi sans doute qu’il l’a vue le plus souvent, dans ce pays admirable, lui qui n’était pas un véritable paysan ; mais c’est ainsi surtout qu’il a voulu la voir et qu’il l’a aimée. Les tempêtes et les frimas se sont effacés de son souvenir optimiste. Il n’a retenu d’elle que ses aspects heureux, ceux qui convenaient à son idéal. Dans ces limites, d’ailleurs, il est sincère et vrai. Ses descriptions ont la grâce pittoresque du détail, le trait juste et fin, la couleur et la chaleur de la réalité, parfois même la grandeur qui résulte d’un dessin aussi large que précis. On n’a jamais donné une sensation plus juste et plus forte des richesses de l’automne que dans cette peinture qui termine les Thalysies :

Lycidas, avec son gracieux sourire, me donna son bâton,

  1. Idyll. VIII, 55-56.