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ARATOS

n’est ni l’une ni l’autre : elle est la vulgarisation élégante d’une science continuée en dehors d’elle et en dehors de la tradition. Aratos, quoique fort instruit, n’est pas un savant proprement dit, un de ceux qui créent la science ou qui lui font faire des progrès. Son ambition scientifique se borne à traduire en vers exacts et précis l’ouvrage en prose d’un vrai savant, Eudoxos de Cnide[1]. Ses visées sont essentiellement littéraires : la gloire qu’il recherche est celle d’un poète élégant, qui a su triompher des difficultés d’un pareil sujet par des miracles de style et de versification. On voit les dangers d’un pareil système : il risque d’engendrer la froideur, le prosaïsme, l’ennui. Ce qui peut sauver un ouvrage de ce genre, c’est d’abord un talent de style qui donne à certaines vérités scientifiques un caractère d’éternité, par la netteté définitive de la formule, par la toute-puissance du vers bien frappé : tel est souvent, dans un autre genre, le mérite des vers gnomiques, ou celui des vers de Boileau. C’est aussi l’émotion du poète, une imagination vive et sensible, qui lui permette, comme à un Lucrèce ou à un Virgile, de mettre toute son âme dans sa science, de vivifier et d’humaniser ses axiomes ou ses préceptes par un accent qui nous fasse tressaillir ou rêver.

Aratos n’est ni un Lucrèce ni un Virgile. C’est un Alexandrin de beaucoup de talent, et rien de plus. Il a quelques-unes des qualités d’un Boileau, avec moins de conviction et plus d’élégance. C’est, si l’on veut, un Saint-Lambert : comme le poète des Saisons, si fort admiré de La Harpe, il est bon écrivain, bon versificateur, précis, élégant et froid. Son style est d’une clarté limpide, sans images vives ni émotion. Ses descriptions sont exactes et nettes. Ses vers, toujours faciles, se gravent aisément dans le souvenir. S’il ajoute çà et là quelque

  1. Vita III, p. 58.