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HISTOIRE PRAGMATIQUE

affaires, ils n’ont que la première[1]. Cela suffit au public. Timée, avec ce seul mérite, passe pour un grand historien[2]. Cette « habitude livresque »[3] n’atteint pourtant pas à la vérité. L’historien de cette espèce est comme un peintre qui ne dessinerait que d’après le mannequin au lieu d’étudier le modèle vivant[4]. Les descriptions géographiques de Timée ont le genre de vérité des décors de théâtre[5]. L’étude des livres est certes indispensable[6] ; mais l’historien ne peut s’en servir avec fruit que s’il connaît par lui-même les choses dont il est parlé dans les livres, c’est-à-dire les affaires politiques et le théâtre des événements[7]. Platon avait dit que les affaires humaines ne seraient bien gouvernées que quand les philosophes seraient rois ou quand les rois seraient philosophes : Polybe, reprenant cette parole, déclare que l’histoire ne sera traitée comme elle doit l’être que quand les hommes pratiques consentiront à l’écrire ou quand les historiens commenceront par regarder comme indispensable à leur tâche la connaissance pratique des affaires[8]. Ainsi, l’ordre habituel des connaissances qu’on exige de l’historien doit être interverti. Aux yeux de Polybe, c’est seulement quand l’historien aura été armé d’expérience par la vie pratique qu’il pourra revenir utilement aux livres pour en dégager la vérité.

On voit combien cette théorie est originale en plein alexandrinisme. Par delà tous les rhéteurs et les compila-

  1. Polybe, XII, 25 D, et suiv.
  2. Polybe, XII, 28, 6.
  3. Βυβλιακὴ ἔξις (XII, 25 H, 3).
  4. Polybe, XII, 25 H, 2.
  5. Polybe, XII, 28 A, 1 et 6.
  6. Polybe, XII, 23 E, 5 — 6.
  7. Sur la nécessité des connaissances géographiques précises, v. surtout III, 57.
  8. Polybe, XII, 28, 1-5.