Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
CHAPITRE V. — POLYBE

avant tout un voyageur et un observateur, plus préoccupé, dans ses recherches géographiques, de guerre et de politique que de géographie pure.

En outre, il a lu les écrits de ses prédécesseurs. Sans croire que l’érudition dispense de tout le reste, il ne méprise pas l’érudition. Polybe a réellement beaucoup lu. Tous les historiens, tous les auteurs d’écrits politiques et militaires qui pouvaient lui apprendre quelque chose, il les a mis à contribution. Leurs noms remplissent son ouvrage, et souvent il y fait allusion sans les nommer. Il s’en sert, mais il les juge. Sa critique est d’une entière indépendance et presque toujours d’un rare bon sens. Elle est sévère, mais non méchante. Il excuse volontiers les erreurs qui viennent d’une ignorance inévitable[1]. Ce qu’il ne pardonne pas facilement, c’est la frivolité de ces beaux-esprits qui croient suppléer à l’intelligence des choses par la rhétorique et qui font de l’histoire un exercice d’école. Pour ceux-là, il est intraitable. On l’excusera, ou plutôt on le louera de cette âpreté, si l’on songe à tout le mal que le manque de sérieux a fait à la Grèce alexandrine dans tous les ordres de choses. Pour lui, son érudition est éclairée avant tout par sa connaissance des affaires et par son bon sens. Il sait très bien, par exemple, qu’un contemporain est d’ordinaire un meilleur témoin qu’un historien postérieur ; mais si ce contemporain est un sot ou s’il raconte des choses impossibles, son autorité de contemporain ne saurait prévaloir contre la raison et la nature des choses[2]. L’érudition de Polybe ne s’en tient pas aux œuvres littéraires : elle s’attache aux documents de première main. Il a recueilli, quand il l’a pu, les informations orales des principaux acteurs, un Phi-

  1. V. notamment III, 58.
  2. Exemples : III, 9 ; III, 20, etc. V. aussi sa critique toute « pragmatique » d’un récit de bataille de Callisthène, XII, 17-18.