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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

transporter, jusqu’au temps où la Grèce et l’Orient grec auront retrouvé, dans des conditions de vie meilleures, une certaine indépendance intellectuelle. La conséquence immédiate de cette émigration, c’est que les Grecs de ce temps écriront souvent pour les Romains, autant ou plus que pour leurs compatriotes. Devenus leurs clients et désireux d’être approuvés d’eux, les critiques se proposeront de leur faire mieux connaître les grands écrivains qui sont considérés comme des maîtres par les deux peuples également ; les historiens rassembleront et résumeront pour eux les annales des royaumes qu’ils ont soumis ; les philosophes approprieront à leurs besoins l’enseignement traditionnel de leurs écoles.

Cette situation nouvelle aura ses inconvénients et ses avantages. L’inconvénient le plus apparent, et le plus grave à coup sûr, c’est que toute cette littérature, ainsi dépaysée et souvent trop protégée, manquera absolument d’originalité, de hardiesse, faute d’être alimentée et encouragée par un sentiment national indépendant. Un autre, c’est que, pour satisfaire à la curiosité un peu puérile de ses protecteurs, elle donnera parfois trop d’importance à des futilités[1]. Nous trouverons dans la littérature grecque de ce temps mainte trace de cette influence déprimante et rapetissante.

Mais, d’autre part, on ne peut nier que Rome, en attirant à elle les Grecs, et en leur imposant quelque chose de son esprit, ne leur ait rendu service à bien des égards.

D’abord, elle leur a offert des moyens de travail qu’ils auraient difficilement trouvés ailleurs. Elle a mis à leur disposition ses bibliothèques[2], ses archives publiques et

  1. Voyez les renseignements fournis par Suétone sur la cour de Tibère et les questions qu’il aimait à poser à ses grammairiens. Vie de Tibère, c. 56.
  2. Bibliothèque de Pollion, fondée par lui en 40 av. J.-C., dans