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STRABON ; SA VIE

teur n’avait pas voulu refaire le récit de Polybe. Le sien commençait proprement à la date où Polybe s’était arrêté, c’est-à-dire à la destruction de Carthage en 146, et, à partir de là, se développait jusqu’à la fondation de l’Empire, en quarante-trois livres, dont l’ensemble constituait ce qu’il appelle lui-même la Suite de Polybe (τὰ μετὰ Πολύβιον)[1].

Comme le titre l’indique, c’était plutôt une série continue « d’études » ou de « notes » qu’une histoire proprement dite. Strabon lui-même a défini son dessein : il avait voulu faire, nous dit-il, un ouvrage utile « à la philosophie morale », où tout le monde pût trouver à s’instruire ; et, pour cela, laissant de côté les menus détails, il s’était attaché seulement aux hommes et aux choses dignes de mémoire[2]. Il s’adressait, non aux érudits, ni aux spécialistes, mais à tous les esprits qui aimaient à juger et qui voulaient connaître les grands traits de l’histoire, Grecs ou Romains indifféremment, en particulier à ceux qui exerçaient des charges (τοὺς ἐν ταῖς ὑπεροχαῖς), parce qu’ils avaient plus besoin que les autres de cette sorte d’expérience humaine ; et il se proposait de leur donner des leçons pratiques, faciles à retenir, au moyen de récits qui se liraient agréablement.

Ce point de vue large, élevé, vraiment universel, Strabon le devait à la fois à Polybe, son maitre, et à l’influence de son temps. C’était peut-être par là que

  1. Suidas, Πολύβιος. Strabon, Géogr., XI, p. 515, et le passage relatif à Alexandre, Géogr., II, p. 70.
  2. Géogr., I, p. 13 : Διόπερ ἡμεῖς πεποιήκαμεν ὑπομνήματα ἱστορικὰ, χρήσιμα, ὡς ὑπολαμβάνομεν, εἰς τὴν ἠθικὴν καὶ πολιτικὴν φιλοσοφίαν. Voir (même passage, lignes précédentes) comment il définit ceux qu’il appelle πολιτικοί : ce mot, sous l’influence du latin civilis, était devenu à peu près synonyme de ἐλεύθεροι καὶ φιλοσοφοῦντες ; il implique pour lui une éducation libérale, en dehors de toute spécialité professionnelle. Strabon ajoute, en parlant de ses Études historiques : ἐκεῖ τὰ περὶ τοὺς ἐπιφανεῖς ἄνδρας καὶ βίους τυγχάνει μνήμης, τὰ δὲ μικρὰ καὶ ἄδοξα παραλείπεται.