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PHILON ; SA DOCTRINE

ces frappantes, des différences très sensibles éclatent, dès qu’on y regarde de près. La morale de Philon est en réalité pénétrée de l’esprit juif et de l’esprit platonicien, et par là elle est bien plus voisine du christianisme que ne l’était le stoïcisme. Fondée sur la croyance à une révélation et à une inspiration divines, bien loin de faire du sage une sorte de dieu, elle ne conçoit la vertu que comme un don d’en haut, sans cesse renouvelé ; la notion de la grâce lui est essentiellement inhérente. De là vient qu’elle n’a rien de l’orgueil ni de la sécheresse des Stoïciens. D’ailleurs elle ne se complaît pas en elle-même ; son idéal n’est pas humain ; elle est mystique et parfois enthousiaste. Le rêve de l’âme éprise du bien, c’est, pour Philon, de se détacher du corps et de la terre, de s’élever jusqu’à Dieu, de vivre en lui, dans une contemplation pleine de joie et d’amour. Aussi, tandis que les Stoïciens du temps s’attachent minutieusement à régler tous les détails de la vie, à en prévoir toutes les circonstances, lui, au contraire, en méditatif exalté, semble oublier le plus souvent toutes les menues choses d’ici-bas, qui ne l’intéressent ni ne le préoccupent, et sa pensée monte, d’un doux essor, jusqu’à ces hauteurs sereines qu’elle considère comme sa vraie patrie. Si l’extase n’est pas encore pour lui un besoin constant, s’il n’y vise pas, par un dessein arrêté et conscient, comme à l’état suprême où doit tendre la philosophie, on ne peut nier du moins que le mouvement même de ses sentiments ne l’y porte, comme à leur terme naturel.

C’est en cela précisément que consiste la personnalité de Philon ; et cette personnalité, tendre et pieuse, tout animée d’une religion d’amour, est aussi ce qui le rend original et intéressant comme écrivain. Les sentiments qui remplissent ses écrits et la manière dont il les traduit font de lui, au point de vue littéraire, une sorte