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PLUTARQUE ; SA CRITIQUE LITTÉRAIRE

avisé et très clairvoyant, avait vu les hommes des guerres médiques tels qu’ils étaient, avec leur grandeur et leurs petitesses ; il avait noté, en narrateur sincère, bien des intrigues mesquines, bien des jalousies, bien des calculs égoïstes, et il avait par là servi admirablement la vérité. Au temps de Plutarque, ces hauts faits nationaux étaient depuis longtemps idéalisés ; toute une série d’historiens et d’orateurs y avaient travaillé pendant des siècles, et nul n’était plus attaché que notre moraliste à cette gloire de la patrie. Les doutes d’Hérodote lui ont paru injurieux, ses remarques sincères lui ont fait l’effet de calomnies. Étant ce qu’il était, il devait penser ainsi.

C’est bien le même homme que nous retrouvons dans le traité Sur la manière de faire lire les poètes aux jeunes gens. Attaché par une admiration pieuse à tous les grands poètes de la Grèce, il ne peut pourtant se dissimuler que bien des choses qu’ils ont dites sont de nature à blesser le sens moral des jeunes gens de son temps. S’il avait l’esprit historique, cette contradiction ne l’arrêterait pas un instant. Il sentirait, et il dirait tout simplement, » qu’au temps d’Homère les idées morales et religieuses étaient encore dans l’enfance, et qu’il faut par conséquent faire bien comprendre aux jeunes gens que ses peintures se rapportent à une humanité primitive, sur laquelle les hommes du temps de Trajan n’avaient plus à se régler. Mais, comme cette idée lui est entièrement étrangère, comme il persiste à vouloir chercher dans les vieux poètes des exemples de conduite et des préceptes d’une valeur absolue, il est en présence de difficultés inextricables ; et il n’en sort pas, car cela est impossible ;

    A. Hauvette dans son Hérodote historien des guerres médiques (Paris, 1895) ; son chapitre sur la dissertation de Plutarque (l. I, ch. iv, p. 98 et suiv.) me paraît mettre parfaitement en lumière le point de vue du moraliste et ses erreurs.