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LONGUS

sans cesse sur l’homme. Les scènes champêtres qu’il invente, ou qu’il imite, ont un charme réel. Ce sont de toutes petites choses, mais qui plaisent. Il nous intéresse à la construction d’un piège à sauterelles préparé par Chloé, à l’accident de Daphnis tombé dans une fosse à loup, à la vendange, à la tristesse de l’hiver qui sépare les jeunes amants, à la description d’une maison de paysan où l’on fait bon feu pendant que le vent glacé souffle au dehors, à la simple peinture de deux vieux arbres revêtus de lierre, abri hospitalier où les merles et les grives se réfugient en foule, tandis que le sol est couvert de neige. Tout cela est précis, vivant, amusant. Les événements proprement dits sont loin de valoir ces jolis tableaux de genre. L’enlèvement de Daphnis par les pirates, sa délivrance miraculeuse par le dieu Pan, la guerre entre Mytilène et Méthymne ne peuvent guère passer que pour de médiocres inventions. Mais ces événements sont peu de chose dans le récit, et ils n’en altèrent pas le caractère général.

Sur ce fond de réalité, les sentiments aussi devaient nécessairement se rapprocher de la vérité. Par malheur, c’est ici que le défaut capital de l’œuvre apparaît. Le vrai sujet était la peinture d’un amour ingénu qui naît et se développe ; et ce sujet, délicatement traité, était charmant. Mais rien n’est plus difficile à peindre que l’ingénuité pour qui en manque absolument. Comment un sophiste, même heureusement doué, n’aurait-il pas gardé toujours et partout ses habitudes de raffinement ? C’en était assez pour tout gâter. En outre, ce qui semble avoir le plus tenté Longus dans la peinture qu’il entreprenait, c’est, il faut bien l’avouer, son côté scabreux. Sans doute, le trouble des sens, les désirs obscurs et inquiets y avaient leur place marquée ; mais il ne convenait ni qu’ils fussent sans cesse au premier plan, ni surtout que l’auteur conduisît ses deux personnages,