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je suis venue toute jeune à Manchester, à l’école des Dancing Girls. J’avais cinq ans quand j’y suis entrée.

— Si jeune ?

— Mais c’est l’âge où on commence à apprendre la danse, ou plutôt la gymnastique, car on débute par là.

— Vraiment ?

— Vous croyez que pour être « Dancing girl » il suffit d’être jolie et de sourire sur la scène ! Détrompez-vous. Demandez du reste à Ketty.

— C’est un dur métier, quand on commence à l’apprendre !

— Pensez qu’on reste à l’école plusieurs années et que depuis l’âge de cinq ans jusqu’à treize ou quatorze, on passe par un entraînement sportif extrêmement rigoureux, gymnase, barre fixe, barres parallèles, exercices d’assouplissement.

— Pas possible !

— Ce n’est que lorsque l’on est devenue une véritable acrobate qu’on commence à vous enseigner la danse, approuva Ketty.

— Et si vous croyez que c’est facile de danser la gigue !

— Je n’ai jamais essayé, répondit Marius pour dire quelque chose, car son esprit était ailleurs. La rencontre que mistress Trubblett avait faite la veille, la lettre et son mystère, détournaient sa pensée et malgré lui, il ne pouvait s’empêcher d’écouter la conversation d’une oreille distraite.

— Il n’y a pas de danse où les pas soient plus compliqués, plus riches en variations et en fantaisies.

— Est-ce vrai ?

À ce moment précis, Marius réfléchissait que, bouleversé par la trouvaille du mouchoir à bordure violette, il avait oublié de parler à Stockton de la lettre de Jarvis. Et en lui-même, il répétait les chiffres fatidiques :

11 — 26 — 23 — 18 — 13

tout en écoutant, ou en paraissant écouter les bavardages de perruche de sa future belle-mère.

— Ah oui.

11 — 26 — 23 — 18 — 13

Quel était le mystère de ces chiffres ?

Quel était le secret de leur incompréhensible énigme ?

— Nous apprenons à fond le chant aussi. Mon apprentissage a duré huit ans, mais aussi j’étais directrice au bout de six mois de scène.

— Directrice ?

— C’est-à-dire, la plus habile du quadrille, et je vous réponds que malgré ma jeunesse toutes m’obéissaient dans la troupe des « Sherry gobler girls ».

— Et vous n’étiez pas la plus âgée ?

— Oh ! non. Maud et Jenny avaient l’une dix-sept ans et l’autre seize ans et demi, alors que je n’en avais que quinze. Mais j’étais très… formée déjà, et j’étais surtout la plus raisonnable en même temps que la plus habile.

— Raisonnable ?

— Mais oui ! Ce n’est pas une petite affaire que de régler les numéros de la troupe, de s’entendre avec les auteurs et les directeurs, d’arrêter ce qu’on fera dans le spectacle du soir, de garder et mettre en ordre les costumes, de répartir les salaires quand le manager n’est pas là.

— Vous faisiez tout cela ?

— Et bien d’autres choses encore ! De mon temps — je reprendrais volontiers du coq de bruyère… merci ! — De mon temps les girls se conduisaient comme des jeunes filles du monde, et