Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/205

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sont assis les rédacteurs. Ils ne sont pas beaux, les rédacteurs ; ils ont des figures de déménageurs ; ils sont tous vêtus de toile grise, avec un numéro d’ordre au collet. Tous ont une sorte de chapeau en forme de citrouille qui s’applique sur leur front par une série de touches, comme dans l’appareil à prendre mesure chez les chapeliers.

Cinq heures sonnent.

Les dix rédacteurs du bout se collent un téléphone à l’oreille gauche et écrivent de leur main droite sur du papier en bandes continues, qu’une machine déroule devant eux. À mesure que la surface se couvre d’écriture, elle est entraînée, à travers une rainure, dans le sous-sol où est l’imprimerie.

Alphonse Allais, en obligeant cicérone, m’expliquait les choses :

— Ce sont les rédacteurs de l’actualité, les téléphones leur révèlent ce qui se passe partout, et ils l’écrivent avec le talent qu’ils puisent dans ces singuliers chapeaux.

« J’allais oublier de vous dire que ces chapeaux contiennent des cervelles métalliques des meilleurs modèles, avec pile et accessoires. Les pointes qui touchent le front servent à envoyer les courants électriques, qui produisent le talent dans la tête la plus obtuse.

« Cette invention, due au célèbre Tadblagson, a transformé l’ordre social en rendant le talent proportionnel à la fortune. C’est ainsi que le plus grand génie de notre époque est le banquier Philipfill, qui a pu