Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/21

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Il n'en fallait pas davantage, à une époque où les plus hautes spéculations de l’esprit n’ont chance de fasciner les foules qu’à la condition d’être immédiatement monnoyables, pour faire pencher la balance du côté du businessman. Dans ce match inégal, le dédain natif de Charles Cros pour les étroitesses et les banalités de la vie terre à terre, son souci presque mystique de l’impérissable et l’aristesse un peu hautaine de sa chevalerie scientifique le vouaient d’avance à la défaite. Croyant, quand il avait déchiffré quelque formidable énigme, avoir assez fait ainsi pour sa gloire, il se hâtait d’enfourcher un autre hippogriffe. C’est ainsi que, l’un après l’autre, les chefs d’œuvre s’ensevelissaient, ignorés et stériles, au fond de ses tiroirs. Pendant ce temps-là, ses émules et ses plagiaires bâtissaient des usines, fondaient des sociétés et violaient la Renommée. Ainsi va le monde !

Sans doute, il faut aboutir. Il faut donner un corps au rêve. Mais comment aboutir, comment concréter le rêve, quand il faut lutter pour le pain quotidien et qu’on n’a pas un sou vaillant ? Si même l'on songe que toutes ces merveilles, conçues à priori par une sorte de double vue divinatoire, sont sorties d’expériences rudimentaires, hâtives,