Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/212

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L’aspect rosé de ce paysage, tout nouveau pour lui, silex à peine débarqué de son pic, la mousse noire du manganèse qui surplombait le frais abîme, affola le caillou téméraire, qui s’arrêta dur, droit, bête.

La fissure éclata du rire silencieux, mais silencieux, particulier aux Etres de la Planète sans atmosphère. Sa physionomie, en ce rire, loin de perdre de sa grâce, y gagne un je-ne-sais-quoi d’exquise modernité. Agrandie, mais plus coquette, elle semblait dire au caillou : « Viens-y donc, si tu l’oses !… »

Celui-ci (de son vrai nom Skkjro [1]) jugea bon de faire précéder son amoureux assaut par une aubade chantée dans le vide embaumé d’oxyde magnétique.

Il employa les coefficients imaginaires d’une équation du quatrième degré [2]. On sait que dans l’espace éthéré on obtient sur ce mode des fugues sans pareilles. (Platon, liv. XV, § 13).

La fissure (son nom sélénieux veut dire « Augustine ») parut d’abord sensible à cet hommage. Elle faiblissait même, accueillante.

Le Caillou, enhardi, allait abuser de la situation, rouler encore, pénétrer peut-être…

Ici le drame commence, drame bref, brutal, vrai.

  1. Ce prénom, banal dans la Planète, se traduit exactement « Alfred ».
  2. Le texte lunaire original porte « du palier du quatrième étage ». Erreur évidente du copiste.