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LE DEUIL DE LA NATION

comme Minerve surgit tout équipée de la tête de Jupiter ; elle est le fruit d’un labeur préliminaire accumulé. Entre des journées de production féconde viennent s’intercaler des journées d’incertitude où rien ne semble réussir, où la matière elle-même semble hostile, et c’est alors qu’il faut résister au découragement. Et sans jamais se départir de sa patience inlassable, Pierre Curie me disait parfois : « Elle est pourtant dure, la vie que nous avons choisie ».

Pour le don admirable de soi-même, et pour les services magnifiques rendus à l’humanité, quelle est la compensation que notre société offre aux savants ? Ces serviteurs de l’idée disposent-ils des moyens de travail qui leur sont nécessaires ? Ont-ils une existence assurée à l’abri du besoin ? L’exemple de Pierre Curie et de tant d’autres montre qu’il n’en est rien, et que pour conquérir des moyens de travail acceptables, il faut, le plus souvent, avoir épuisé d’abord sa jeunesse et ses forces dans des soucis quotidiens.

Notre société, où règne un désir âpre de luxe et de richesse, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne réalise pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus précieux, elle ne se rend pas non plus suffisamment compte que la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance. Ni les pouvoirs publics, ni la générosité privée n’accordent actuellement à la science et aux savants l’appui et les subsides indispensables pour un travail pleinement efficace.

J’invoque pour terminer l’admirable plaidoirie de Pasteur : « Si les conquêtes utiles à l’humanité touchent votre cœur, si vous restez confondus