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OPINIONS SUR PIERRE CURIE[1]



HENRI POINCARÉ (Comptes rendus de l’Académie des Sciences, décembre 1906).

Curie était un de ceux sur qui la Science et la France croyaient avoir le droit de compter. Son âge permettait les longs espoirs ; ce qu’il avait déjà donné semblait une promesse, et l’on savait que, vivant, il n’y faillirait pas. Le soir qui précéda sa mort (pardonnez-moi ce souvenir personnel), j’étais assis à côté de lui ; il me parlait de ses projets, de ses idées ; j’admirais cette fécondité et cette profondeur de pensée, l’aspect nouveau que prenaient les phénomènes physiques vus à travers cet esprit original et lucide ; je croyais mieux comprendre la grandeur de l’intelligence humaine, et, le lendemain, tout était anéanti en un instant ; un hasard stupide venait nous rappeler brutalement combien la pensée tient peu de place en face des mille forces aveugles qui se heurtent à travers le monde sans savoir où elles vont et en broyant tout sur leur passage.

Ses amis, ses confrères comprirent tout de suite la portée de la perte qu’ils venaient de faire ; mais le deuil s’étendit bien au delà ; à l’étranger, les plus illustres savants s’y associèrent et tinrent à manifester l’estime où ils tenaient notre compatriote, pendant que, dans notre pays, il n’était pas un Français, si ignorant qu’il fût, qui ne sentit plus ou moins

  1. Dans quelques publications, parues comme hommage à la mémoire de Pierre Curie, j’ai choisi ces extraits, pour compléter mon récit par des témoignages émanant de personnalités du monde scientifique.