Page:Curwood - Kazan, trad. Gruyer et Postif.djvu/187

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naire de l’espèce, elle se serait, au bout de quatre ans, appariée entre elle et aurait quitté la colonie pour aller en fonder une autre. Mais elle se trouvait bien où elle était et y demeura. Elle procréa sur place. Si bien que maintenant on eût dit le grouillement serré de la population qui s’entasse dans une ville assiégée.

La colonie, cette sixième année, comptait quinze huttes et plus de cent citoyens, avec, en surplus, la dernière portée de jeunes castors de mars et d’avril. La digue qui retenait les eaux du torrent s’était allongée au point d’atteindre deux cents yards. L’eau débordée couvrait une vaste étendue de sol, transformée en étang, et d’où émergeaient bouleaux, peupliers, aulnes et saules, à la tendre écorce et aux pousses vertes.

Quelle que fût la surface couverte par l’eau, cette pitance ordinaire des castors était devenue insuffisante pour la nourriture des huttes surpeuplées. On ne voyait plus partout qu’arbres et arbrisseaux rongés jusqu’à l’aubier.

Retenus, comme l’homme, par l’amour du foyer natal, les castors n’avaient pu se décider encore à émigrer. La hutte de Dent-Brisée mesurait intérieurement huit à neuf pieds de diamètre, et dans cet étroit espace vivaient enfants et petits-enfants, au nombre de vingt-sept.

Aussi le vieux patriarcbe s’était-il résolu à abandonner sa tribu, pour s’en aller ailleurs chercher fortune. Tandis que Kazan et Louve Grise reniflaient négligemment les fortes odeurs qu’exhalait la ville des castors, Dent-Brisée ralliait justement et faisait ranger autour de lui sa famille — c’est-à-dire sa femelle, deux de ses fils et leur progéniture — pour l’exode.

Dent-Brisée avait toujours été le chef reconnu de la colonie. Aucun autre castor n’y avait jamais atteint